La « veillée de prière pour la paix » présidée par le pape Français samedi à Rome a attiré 100 000 personnes.
Au cœur d’une longue vigile ponctuée de temps de silence prolongés, le pape a appelé à faire œuvre de « pardon, dialogue et réconciliation » face à la violence en Syrie.
Il a développé son message de fraternité, marque de son pontificat.
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Le visage grave, absorbé, le geste sobre. Dès sa discrète arrivée en simple vêtement blanc place saint-Pierre, samedi soir juste avant 19 heures, le pape François donne le ton de la « veillée de prière pour la paix », qu’il va présider. La foule, à qui il avait fixé ce rendez-vous inédit lors de l’Angélus du 1er septembre, a répondu présent : 100 000 personnes, selon une estimation du Saint-Siège.
Parmi eux, un couple néo-zélandais qui visitait Rome ces derniers jours avec un ami prêtre. « Il y a de l’espoir pour une solution pacifique », estime ce dernier, en référence à la guerre en Syrie et au projet américain d’une intervention militaire. « Obama, tu ne fais pas de rêve, tu fais un cauchemar », est-il écrit en anglais sur une pancarte brandie en marge de la piazza.
Même si la politique internationale ne rôde jamais loin, elle ne s’accaparera jamais de la veillée religieuse, terme et sommet d’une « journée de jeûne et de prière pour la paix en Syrie, au Moyen-Orient et dans le monde entier », selon son intitulé complet.
"La guerre, une défaite pour l’humanité"
Le jour décline derrière la basilique saint-Pierre alors que monte la prière. Au cœur de la place ceinte par la colonnade du Bernin, c’est une foule attentive et recueillie, qui, dans la douceur rafraîchissante tombant avec le soir sur la ville, écoute les lectures successives en italien et les morceaux de harpe. Une foule qui reprend les chants et récite le rosaire. Comme Nicolas Zitole, 58 ans, venu en famille des Pouilles. Livret de la veillée en main, il confie sa crainte qu’une intervention militaire « ne se transforme en guerre dans toute la région ».
Contrer la guerre et la violence sont au centre de la méditation que le pape François livre avant l’adoration eucharistique. « Que se taisent les armes ! La guerre marque toujours l’échec de la paix, elle est toujours une défaite pour l’humanité », insiste-t-il, citant de nouveau Paul VI et son discours devant les Nations unies en 1965 : « Plus jamais la guerre ! ».
Pressant l’homme à se détourner de la conduite de Caïn qui, dans la Genèse, a tué son frère Abel, le pape invite « chrétiens, frères des autres religions, chaque homme et chaque femme de bonne volonté » et « jusqu’à ceux qui sont appelés à gouverner les nations » à « sortir de cette spirale de douleur et de mort ». « Oui, c’est possible à tous ! », répète-t-il, comme une allusion au slogan « Yes, we can !» de la première campagne de Barack Obama. Sortant de son texte, le pape rappelle l’exemple de « l'olivier que les représentants de plusieurs religions ont planté avec moi à Buenos Aires sur la Plaza de Mayo en 2000 pour qu'il n'y ait plus ni chaos ni guerre mais la paix ».
Après la parole, le silence
Pour sortir de violence, le pape François trace comme chemin « pardon, dialogue, réconciliation ». « Travaillons pour la réconciliation et pour la paix », conclue-t-il, citant « la bien-aimée nation syrienne » qu’au terme de son intervention. Jeudi dernier, le secrétaire pour les rapports avec les Etats, Mgr Dominique Mamberti, avait exposé les principes généraux pouvant guider une négociation de paix en Syrie devant le corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège.
A la veillée de samedi, l’Union européenne et cinq États membres sont officiellement représentés, ainsi que plusieurs pays d’Amérique latine et du Moyen-Orient (Iraq et Liban). L’Italie, tiraillée sur l’opportunité d’une intervention armée, est représentée par son ministre de la défense, Mario Mauro. Des membres d’autres cultes, orthodoxes et musulmans, sont aussi présents.
Après la parole, le silence. Les applaudissements à la fin de la médiation du pape font place à un long temps de prière silencieuse, entrecoupé de lectures de messages de paix des papes précédents. Benoît XVI, retiré dans le Vatican, a laissé savoir qu’il s’associait à la prière. Sur la place saint-Pierre, ce saisissant recueillement nocturne de cent mille personnes rappelle celui qui avait gagné le même lieu lorsqu’au soir de son élection, le 13 mars dernier, le pape François avait fait prier la foule.
« Culture du dialogue » contre « culture du rebut »
« On ressent la prière du pape », temoignent Marry Ellen et Marc, couple américain du Montana, assis aux premiers rangs. Le silence prolongé veut trancher avec le fracas des armes. Suivi d’autres temps silencieux au fur et à mesure que la veillée s’approfondit, il rejoint l’intention générale de prière qu’avait proposée le pape pour ce mois de septembre : « Pour que les hommes de notre temps, souvent submergés par le bruit, redécouvrent la valeur du silence et sachent écouter la voix de Dieu et de leurs frères ».
La figure du « frère à garder et à aimer », fil conducteur samedi de la méditation du pape, marque plus largement une signature de son pontificat. Lors de sa messe d’intronisation du 19 mars, dont la méditation à la veillée reprenait les accents, il avait décrit « la vocation de garder (qui) ne nous concerne pas seulement nous les chrétiens ». Et aux JMJ de Rio fin juillet, il n’a eu cesse de promouvoir dans nos sociétés une « culture du dialogue et de la rencontre » contre une « culture du rebut ». La « fraternité » sera aussi l’axe de son message pour la journée de prière pour la paix du 1er janvier prochain.
A la veillée de samedi, cette fraternité est symbolisée par une procession d’offrande de l’encens menée par cinq couples de personnes provenant de Syrie, de « Terre sainte », des Etats-Unis, de Russie et d’Egypte, avant l’entrée dans l’adoration eucharistique.
C’est tenant en main le Saint-Sacrement que le pape donnera, après l’oraison, sa bénédiction finale, invitant à « continuer à prier pour la paix toutes ces journées ». Il est 23 heures, et Abdullah, Libanais de 45 ans, n’a pas vu les quatre heures passer. « C’était très beau », sourit-il, avec toutefois la crainte que « les chrétiens soient maintenant classés comme pro-Assad parce que l’opposition syrienne réclame l’intervention extérieure » : « Tous ceux qui refusent notre logique de tendre l’autre joue se moquent de nous ».
Sébastien MAILLARD, à Rome
journal la croix