Intitulée Evangelii gaudium, « la joie de l’Évangile », l’exhortation apostolique du pape sur l’annonce de la Bonne nouvelle dans le monde actuel a été rendue publique mardi 26 novembre
Ce texte dense, écrit dans un style personnel, encourage « dans toute l’Église une nouvelle étape évangélisatrice, pleine de ferveur et de dynamisme »
Le pape n’en cache pas la dimension « programmatique », avec la « sortie de soi vers le frère » comme commandement et la décentralisation comme principe.
« Comme je voudrais trouver les paroles pour encourager une période évangélisatrice plus fervente, joyeuse, généreuse, audacieuse, pleine d’amour profond, et de vie contagieuse ! » Au cœur de son exhortation apostolique, rendue publique mardi 26 novembre à Rome, le pape François résume ce qu’il cherche à obtenir tout au long des 165 pages de ce texte, le plus important depuis le début de son pontificat.
Inspirée des propositions du Synode des évêques sur la nouvelle évangélisation en octobre 2012, l’exhortation n’est pas pour autant post-synodale. Fruit d’autres consultations, de sa propre expérience pastorale et des écrits de ses prédécesseurs, sa « signification programmatique » exprime les priorités du nouveau pape pour les prochaines années.
Sur la forme, il adopte une écriture très personnelle et directe, souvent à la première personne du singulier. Évoquant « l’odeur des brebis », « l’air pur du Saint-Esprit », il reprend plusieurs formules imagées de ses homélies matinales ou catéchèses du mercredi, comme si le thème de la joie devait se ressentir de prime abord à la lecture. Même si le texte est moins construit que ses allocutions d’ordinaire, « il y a couché noir sur blanc les missions de l’Église sur lesquelles il met le doigt depuis six mois », décrypte une source interne au Vatican.
Contre « l’économie qui tue »
Son propos est ainsi habité tout entier par la préoccupation envers ceux qui se sont éloignés de l’Église. Comme aux évêques du Brésil qu’il invitait fin juillet, en clôture des JMJ de Rio, à s’interroger sur ce qui conduit des fidèles à quitter l’Église, le pape interroge sur les manières de faire dans l’Église. Quitte à bousculer les habitudes, abandonner les « schémas ennuyeux » et faire preuve de créativité, « sans peur de se tromper ».
Sur le champ de bataille où l’Église doit soigner, le pape relève les méfaits de « l’individualisme dominant » et de l’« esprit de consommation effréné que stimule le marché ». Contre « l’économie qui tue », comme dans la traite des personnes, le pape envoie l’Église manifester sa mission « pour ceux que la société rejette et met de côté ».
Concrètement, les périphéries, chères au vocabulaire bergoglien, sont visées dans leur acception urbaine première. L’ancien archevêque de Buenos Aires, familier des bidonvilles, interroge l’Église sur la façon d’y atteindre les « citadins à moitié » ou « restes urbains » peuplant aujourd’hui les mégapoles. « Comme elles sont belles les villes qui dépassent la méfiance malsaine et intègrent ceux qui sont différents », lance le pape. Et où les églises paroissiales demeureraient ouvertes plutôt que de renvoyer à « la froideur d’une porte close ». « Mêmes les portes des sacrements ne devraient pas se fermer pour n’importe quelle raison », avance-t-il aussi tandis qu’un questionnaire circule actuellement dans les diocèses à travers le monde sur la pastorale familiale en vue d’un Synode extraordinaire sur ce thème en octobre 2014.
Le pape renverse des perceptions établies dans l’Église
Dans ces périphéries érigées en centre de la mission pour l’Église, le pape, qui réaffirme son désir d’une « Église pauvre pour les pauvres », insiste sur la place de ces derniers dans l’évangélisation. « Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par » les pauvres, insiste-t-il, rappelant l’assise théologique en faveur de « l’intégration sociale des pauvres »
En ce sens, la « conversion pastorale et missionnaire » est un impératif pour tous. Y compris pour la papauté, poursuit-il sans détailler une « réforme des structures » ecclésiales alors que son conseil des cardinaux se réunit de nouveau la semaine prochaine. L’exhortation ouvre toutefois la voie à une « décentralisation salutaire », laissant leur place aux conférences épiscopales pour que « le sentiment collégial se réalise pleinement ».
Plus largement, le pape renverse des perceptions établies dans l’Église, jugées contraires à l’Évangile et relevant d’une « mondanité spirituelle ». S’opposant à la « théologie de bureau », au « soin ostentatoire de la liturgie », le pape latino-américain rend hommage à la « force évangélisatrice de la religiosité populaire ». À l’image de la mère qu’il décrit, récitant le rosaire au pied du lit de son enfant malade même si elle ne connaît pas le credo.
La joie contagieuse de chaque « disciple-missionnaire »
Dans la même veine, ce pape non-européen ouvert à la beauté, y compris dans des « modalités non conventionnelles », refuse de « prétendre que tous les peuples de tous les continents, en exprimant la foi chrétienne, imitent les modalités adoptées par les peuples européens à un moment précis de leur histoire ».
Insistant pour « trouver le mode de communiquer Jésus qui corresponde à la situation dans laquelle nous nous trouvons », le pape propose toutefois un « dénominateur commun », comme l’a exposé hier le président du conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, Mgr Rino Fisichella. À ce titre, notamment, figure « l’homélie comme forme privilégiée d’évangélisation ». Le pape jésuite en donne même des conseils d’élaboration sur plusieurs pages.
Promouvant aussi un large dialogue social, œcuménique, interreligieux et avec les non-croyants, l’évêque de Rome indique des points non négociables : le « sacerdoce réservé aux hommes » et la dignité des enfants à naître, autrement dit le refus de tout avortement. « On ne doit pas s’attendre à ce que l’Église change de position sur cette question », prévient-il, tout en mettant en garde contre une présentation contre-productive de la foi sous son aspect moral. Pour évangéliser, le pape mise avant tout sur la joie contagieuse de chaque « disciple-missionnaire ». « Une personne qui n’est pas convaincue, enthousiaste, sûre, amoureuse, ne convainc personne ».
SÉBASTIEN MAILLARD, à Rome
Journal la croix