Réunis à Lourdes pour leur assemblée plénière d’automne, les évêques français ont invité mardi 4 novembre le politologue Gilles Kepel pour évoquer la situation au Moyen-Orient.
Sur le terrain, les délégués diocésains des relations avec l’islam et les théologiens reconnaissent que l’avancée de Daech dans le nord de l’Irak et les violences commises contre les non-musulmans ont créé « un choc » en France cet été.
« Chaque jour, j’avais l’impression de prendre un nouveau coup sur la tête. » Tout l’été, les nouvelles les plus épouvantables se sont succédé, venues de Gaza, où l’offensive israélienne a causé des centaines de morts, puis de Syrie et d’Irak avec l’invasion de Daech et les décapitations d’otages.
« À chaque fois, je me suis dit que cela allait mettre à mal les relations entre les croyants ici, en France », soupire le P. Étienne Uberall, responsable des relations avec l’islam dans le diocèse de Strasbourg. « De quel dialogue parler ? C’est le travail d’une vie qui est par terre », souffle de son côté un religieux, douloureusement affecté par la situation.
Manque d’intérêt pour leurs propositions, reproches quant à leur pratique du dialogue… Certains responsables des relations avec l’islam en France avaient déjà le moral en berne. Mais le délégué épiscopal du diocèse de Lyon aux relations avec les musulmans, le P. Vincent Feroldi n’hésite pas à comparer le climat actuel à celui qui a suivi « les attentats du 11-Septembre ».
« SERRER LES COUDES » DANS LA TEMPÊTE
« On peut parler d’un choc à propos de ce qui s’est passé cet été », confirme le directeur du service pour les relations avec l’islam (SRI) de la Conférence des évêques, le P. Christophe Roucou, « et également de désarroi devant ces jeunes qui partent en Syrie ».
Ici ou là, ces événements tragiques ont stimulé la solidarité. Réunis au conseil général juste après l’assassinat d’Hervé Gourdel, les responsables des cultes en Alsace ont décidé une marche interreligieuse.
« Au sein du groupe d’amitié islamo-chrétienne, on s’est dit “surtout, on ne lâche rien” », ajoute le P. Uberall, qui observe qu’à Strasbourg les solides relations nouées entre responsables de cultes leur permettent de « serrer les coudes » dans la tempête. Au SRI, les demandes de « soirées ou de journées de réflexion ou de formation » sur l’islam affluent des aumôneries, de l’enseignement catholique, de paroisses ou de mouvements, au point que la petite équipe qui l’anime ne peut y répondre.
« L’AMALGAME ISLAM = VIOLENCE S’APPROFONDIT DANS LES MENTALITÉS»
À Créteil, le délégué du service des relations avec l’islam, Yves Brisciano, qui reconnaît avoir été lui aussi « interpellé » de nombreuses fois depuis l’été, voit surtout, derrière les questions qui lui sont posées, « un désir de mieux comprendre ».
Mais de fait, l’actualité irakienne risque aussi de laisser des traces. « Les chrétiens savent très bien que l’immense majorité des musulmans ne sont pas d’accord avec ces agissements, confusément, l’amalgame islam = violence s’approfondit dans les mentalités à mesure que les images médiatiques s’accumulent, relève le P. Jean Courtaudière, délégué du SRI au sein du diocèse de Saint-Denis. Comment ne pas penser que ces dérives violentes prennent leurs sources quelque part dans l’islam ? »
Très attendues en France, les condamnations des actes de Daech émanant de responsables musulmans se sont succédé tout l’été et « ont été bien relayées dans les mosquées », observe le P. Maurice Bez dans le diocèse de Besançon.
UNE « PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE » DEPUIS L’ÉTÉ
Pour autant, ce prêtre habitué des quartiers populaires, qui n’hésite pas à passer le dimanche après-midi devant la mosquée pour parler avec ceux qui s’attardent entre deux prières, reconnaît que des questions demeurent : « Les premiers textes visaient surtout à protéger l’islam. Quand je rencontre des musulmans, je leur dis que le travail doit se poursuivre pour que les gens sachent qu’on a le droit de changer de religion, ou de ne pas en avoir. »
Plus que d’un « choc », Michel Younès, directeur du Centre d’études des cultures et des religions à l’Université catholique de Lyon, parle donc plutôt d’une « prise de conscience progressive » depuis l’été. « Il a fallu quelques jours pour que nous réalisions quelles atrocités étaient commises. Après les légitimes condamnations voulant éviter tout amalgame, il était important de s’interroger sur les interprétations de l’islam rendant possibles ces actes, que les musulmans eux-mêmes doivent déminer. »
L’appel rédigé par les acteurs du dialogue interreligieux à Lyon, demandant à chacun de « s’engager » contre la violence et l’extrémisme a rencontré un écho inattendu : signé par plus de 1 500 personnalités de toutes les religions, il servira de base de travail au Forum islamo-chrétien qui se tiendra fin novembre.
« NOUS DEVONS FORMER NOS DIOCÉSAINS À LA RENCONTRE DE L’AUTRE »
« Rendre chacun acteur et responsable, c’est cela le but du dialogue et notre défi aujourd’hui », estime Michel Younès, en insistant sur le nécessaire travail « théologique » à mener.
« La priorité, c’est que les gens sortent de chez eux », avance de son côté le P. Henry Fautrad, à la fois curé de paroisse et responsable des relations avec l’islam dans le diocèse du Mans. « Nous devons former nos diocésains à la rencontre de l’autre. Même si elle peut être conflictuelle, voire blessante, elle reste, pour nous chrétiens, une expérience fondamentale. »
Tout l’enjeu est d’en convaincre ses diocésains : « Il me faudrait une petite équipe de gens qui connaissent l’islam et qui aient cette envie, mais c’est lent », reconnaît le jeune prêtre qui espère que certains des participants à la formation sur l’islam, qu’il propose aujourd’hui et la semaine prochaine, accepteront de tenter l’aventure.
Anne-Bénédicte Hoffner
3/11/14 - 16 H 14
http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Les-acteurs-du-dialogue-islamo-chretien-sont-desempares-2014-11-03-1258590