À l’invitation des autorités turques, du patriarche de Constantinople Bartholomeos Ier et des évêques catholiques, le pape arrive à Ankara vendredi 28 novembre, avant de se rendre à Istanbul, samedi 29 et dimanche 30 novembre.
Outre sa dimension œcuménique, ce voyage en pays majoritairement musulman revêt une forte dimension interreligieuse.
« C’est d’abord pour le Phanar qu’il vient ! », s’exclame le franciscain français Gwenolé Jeusset, à Istanbul depuis onze ans (1). Il souligne que désormais, après Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, chaque pape se doit de venir au Patriarcat œcuménique de Constantinople pour poursuivre la recherche d’unité entre les Églises sœurs.
Selon lui, si le pape François a bousculé son calendrier pour venir en Turquie en 2014, c’est parce qu’« il craignait que cela ne soit pas possible en 2015, s’il se rend à Erevan pour le centenaire du génocide arménien, comme il l’a annoncé ! »
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« CETTE FOIS-CI, LE CONTEXTE ISLAMO-CHRÉTIEN EST POSITIF »
Le P. Jeusset sait aussi combien le pape argentin est soucieux de dialogue interreligieux, notamment avec l’islam, lui qui a choisi le prénom du saint d’Assise, réputé, entre autres, pour avoir rencontré le sultan Al Kamil en 1219 devant la ville égyptienne de Damiette. Alors que Benoît XVI en novembre 2006, deux mois après la « controverse de Ratisbonne » (2), était attendu avec méfiance, « cette fois-ci, le contexte islamo-chrétien est positif », estime le franciscain.
En tant que secrétaire de la commission pour le dialogue interreligieux de la Conférence des évêques de Turquie, il souhaite qu’en rencontrant le président des affaires religieuses au Diyanet, le pape « encourage aussi le dialogue avec l’islam ».
« LE PAPE FRANÇOIS EST L’UN DES MEILLEURS DERVICHES »
Un souhait partagé par Nail Kesova, « dede » (chef) d’une trentaine de derviches tourneurs à Istanbul. « Le pape François est l’un des meilleurs derviches, sourit-il avec humour : il invite chacun à progresser dans ses actes et à se sentir libre avec soi-même et avec les autres. » Devenus grands amis, Frère Gwenolé et dede Nail organisent chaque 27 octobre, anniversaire de la rencontre d’Assise de 1986, une célébration commune, face à face et en habits religieux, dans l’église Saint-Louis, au consulat français.
En mai, Frère Gwenolé et son ami derviche, ainsi que deux autres franciscains, se sont rendus en pèlerinage sur la tombe du mystique Rûmi, l’inspirateur au XIIIe siècle du soufisme, à Konia, ville devenue aujourd’hui un bastion fondamentaliste. « Là, j’ai proposé qu’on aille ensemble sur la tombe de saint François à Assise », raconte le franciscain. Ce voyage pourrait avoir lieu au printemps 2015.
« ON NOUS FAIT COMPRENDRE QUE NOUS NE SOMMES QUE TOLÉRÉS »
Ces occasions de dialogue restent toutefois rares. Car dans les faits, l’islam, très largement majoritaire, tend à s’imposer comme « le » marqueur de l’identité turque. « Les chrétiens sont moins de 100 000 et ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan musulman », insiste Mgr Louis Pelâtre, vicaire apostolique d’Istanbul. « De manière implicite, on nous fait comprendre que nous ne sommes que tolérés et que nous n’avons pas à réclamer une égalité de droits avec les autres citoyens. »
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Un constat dressé discrètement par la plupart des communautés chrétiennes, même si elles reconnaissent que le Parti pour la justice et le développement (AKP), parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, est paradoxalement plus ouvert au sort des minorités religieuses que ne l’étaient auparavant les régimes très laïques, fidèles à l’esprit d’Atatürk.
LE PAPE FRANÇOIS ATTENDU SUR LA GÉOPOLITIQUE DE LA RÉGION
Nul doute également que le pape jésuite, trois jours après ses discours vigoureux devant les instances européennes à Strasbourg, rappellera la situation géostratégique de ce pays pont entre Asie et Europe, actuellement fragilisé par les conflits en Irak et en Syrie et l’afflux de près de 2 millions de réfugiés.
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La Turquie, qui doit aussi faire face aux revendications kurdes, est par ailleurs accusée de double-jeu, en favorisant le passage d’armes et de mercenaires islamistes à travers ses frontières poreuses.
« UN MESSAGE À TOUS LES MUSULMANS MODÉRÉS »
« En plein conflit dans la région, venir en terre d’islam n’est pas anodin », insiste Yann de Lansalut, directeur du lycée Notre-Dame de Sion d’Istanbul depuis dix ans. Tout en se félicitant du « superbe témoignage d’un vivre-ensemble au quotidien » que donne ce lycée à l’image de la société turque – avec 650 élèves dont 96 % de culture musulmane et quelques dizaines d’Arméniens, de juifs et de syriens-orthodoxes –, Yann de Lansalut ne doute pas que cette visite sera « aussi un message que le pape veut adresser, au-delà des chrétiens, à tous les musulmans modérés, de Turquie et d’ailleurs. »
Claire Lesegretain, à Istanbul
28/11/14 - 09 H 48
http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/En-Turquie-le-pape-est-attendu-sur-le-dialogue-islamo-chretien-2014-11-28-1271376